- Discours du Président le 15 février 2008


EMBARGO AU PRONONCÉ
Discours de M. le Président de la République

Périgueux – Vendredi 15 février 2008

Monsieur le ministre,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs,


Je suis heureux d’être parmi vous aujourd’hui dans cette belle salle du théâtre de Périgueux, au coeur d’une ville, chef-lieu d’un département rural, qui a tant investi dans la culture et l’éducation ! Une ville, cher Xavier Darcos qui en êtes le maire, qui démontre depuis des années qu’on n’a pas besoin de s’appeler Paris, Bordeaux ou Toulouse pour avoir des théâtres et des musées superbes, des festivals et des concerts, et pour assurer à ses enfants la meilleure éducation qui soit.


C’est dans cette belle ville de Périgueux, dans ce cadre de vie si soigné, que je suis venu vous parler de l’école primaire et de ses transformations.


J’attendais ce moment depuis longtemps, car l’école primaire est un sujet qui m’est particulièrement cher. Et je sais ne pas être le seul dans ce cas. Il y a peu de sujets, en vérité, qui intéressent autant de monde : il y a dans nos écoles primaires près de 7 millions d’enfants et près de 400 000 professeurs. Sans compter le reste des Français, qui tous sont passés par l’école primaire et ont un avis sur la question. Mon ami Xavier a l’habitude de dire qu’il y a en France 64 millions de spécialistes de l’école ! Je vais tâcher ce matin d’être à la hauteur et de ne pas décevoir un si grand nombre d’experts…


Mais je voudrais d’abord m’adresser plus particulièrement aux parents d’élèves, pour leur dire combien je me réjouis de l’attention qu’ils portent à la qualité de l’éducation de leurs enfants. Accueillir un enfant dans une famille, c’est, nous le savons, le plus beau des cadeaux, le plus grand des bonheurs.


Pourtant accueillir un enfant donne aussi de lourds devoirs. Avant d’être parents d’élèves, nous sommes parents d’enfants, et nous faisons confiance aux professeurs à qui ils sont confiés, à l’école primaire pour commencer, pour nous aider à les hisser vers la maturité, à les élever progressivement vers l’âge adulte, à leur apprendre le bon usage de la liberté et de la responsabilité qui va avec. Pour leur inculquer surtout les savoirs fondamentaux qui leur permettront d’apprendre avec succès au cours de leurs études, puis tout au long de leur vie.


Oui, vous les parents d’élèves, qui êtes d’abord des parents d’enfants, vous avez le droit d’être exigeants avec l’école primaire, parce que vous êtes exigeants avec vous-mêmes dans votre tâche d’éducateurs. Vous avez le droit de dialoguer avec les maîtres et de coopérer avec eux. Vous avez le droit d’attendre de l’école primaire de vos enfants qu’elle soit excellente, vous avez le droit de connaître les résultats qu’elle obtient. Et c’est mon travail, celui du gouvernement, celui du ministre, celui de tous les professeurs, d’être à votre écoute, de comprendre vos attentes et de vous offrir, pour l’instruction de vos enfants, une école qui leur permette d’acquérir effectivement – j’allais dire efficacement - les savoirs dont ils ont besoin pour devenir pleinement autonomes.


Notre école primaire a aujourd’hui une très longue histoire. Organisée systématiquement pour la première fois sous la Restauration par François GUIZOT, l’école prend la forme républicaine qu’on lui connaît, et à laquelle nous sommes si attachés, avec Jules FERRY, au début de la IIIe République. En vérité, on a tort de dire : « au début de la IIIe République ». Il vaudrait mieux inverser la formule et dire que c’est la IIIe République, bien plutôt, qui est née « au début de l’école primaire ». Tant il est vrai que la création de cette école laïque, gratuite et obligatoire, constitue son véritable acte de naissance et, au-delà, l’acte de naissance de toutes les Républiques françaises dignes de ce nom, jusques et y compris, bien entendu, la Ve, dans laquelle nous sommes. De 1881 à nos jours, l’école primaire a été l’inlassable fabrique des citoyens de notre pays. Si bien qu’à chaque nouvelle génération, en France, c’est la République toute entière qui renaît et se renouvelle par la grâce de notre école primaire.


Aujourd’hui, c’est dans la ville dont le ministre de l’éducation est maire que je suis venu vous parler de l’école primaire. C’est aussi un geste d’attention en direction de tous les maires de France, de tous les élus des conseils municipaux.


Car nous le savons, en France, l’école est communale depuis qu’elle est républicaine. L’école naturellement, doit l’essentiel à ses maîtres, j’y reviendrai dans un instant. Mais l’école, ce n’est pas qu’une affaire de professionnels. Parce qu’elle est un creuset où se rassemblent tous les enfants de France, parce qu’elle transmet les valeurs et les savoirs qui en feront plus tard des citoyens épanouis, engagés dans la vie familiale, dans la vie professionnelle, dans la vie sociale, l’école n’est pleinement républicaine que si elle est l’école de tout le monde. Les enjeux dont les maîtres sont les dépositaires sont tellement immenses qu’ils engagent la nation toute entière.


Certes, il faut bien du métier et du talent pour faire classe aux enfants de France, qui ne sont pas toujours de charmantes têtes blondes ! Nous savons que la diversité même de la nation, l’affaiblissement de l’autorité des parents, les difficultés de tous les jours que les élèves peuvent rencontrer en dehors de l’école, rendent complexe l’exercice par les professeurs de leur mission.


Mais la mission propre des élus, qui soutiennent et accompagnent les professeurs, est aussi d’incarner les attentes de nos concitoyens à l’égard de l’école, d’exprimer leurs espoirs et aussi leurs impatiences. Dans le modèle de l’école communale, on a une exacte illustration de ce que l’action conjointe de l’Etat et des collectivités locales peut produire de meilleur. Ce n’est pas un hasard au demeurant si dans la mémoire de l’école et des communes de France, il y a la figue dominante de l’instituteur-maire, Janus ô combien républicain : il est une synthèse vivante de notre école communale !


Ici, aujourd’hui, ce n’est pas l’instituteur-maire qui est à l’honneur, c’est mieux encore, c’est le maire-ministre de l’éducation nationale ! Je suis particulièrement heureux, mon cher Xavier, de saisir cette occasion pour rendre hommage, dans votre ville, à la fois à votre travail de ministre de l’éducation nationale et à votre travail de maire.


A l’école primaire, il est question de chacun des élèves, mais il est question aussi de nation et de République. Et Il n’y a pas de République sans un minimum de savoir partagé ; pas de République sans valeurs et sans références communes. Et toutes ces choses essentielles, qui sont le ciment d’une société libre, s’acquièrent à l’âge le plus tendre, sous l’autorité d’un maître, à l’ombre du préau protecteur, sur les bancs de l’école primaire.


Notre école primaire a bien changé depuis 1882, depuis l’époque des bancs et des préaux. Je le dis sans nostalgie aucune. Ces changements, à bien des égards, se confondent avec l’évolution sociale et culturelle tout entière de notre pays.


Il est une chose, cependant, qui, au milieu de tous ces changements, n’a jamais changé, une chose qui, au gré de toutes les vicissitudes de notre histoire, ne s’est jamais démentie : c’est l’extraordinaire dévouement des maîtres d’école de ce pays. Du hussard noir de 1881 jusqu’au professeur des écoles de 2008 en charge, dans tel quartier sensible, de jeunes « primo-arrivants », en passant par Louis Germain, l’instituteur qui permit à Albert Camus de poursuivre ses études, c’est toujours le même idéal qui s’exprime, fait d’autorité et de patience, d’écoute et de fermeté. Chacune des mères, chacun des pères qui sont ici sait bien ce qu’il doit à celle ou à celui qui a appris à son enfant à lire, à écrire et à compter, à s’intéresser au monde, à apprivoiser les règles de la vie en société. Chacun d’entre eux sait bien à quel point la mission est difficile ; rendue plus difficile encore aujourd’hui par toutes les forces, extérieures à l’école, qui brouillent les repères et tendent à détourner nos enfants de la connaissance.


La valeur de nos professeurs, la grandeur et la difficulté de leur tâche, tous les parents la connaissent, nous la connaissons tous. Mais nous sommes avares de notre reconnaissance. Nous ne le leur disons pas assez à quel point nous les admirons et nous les aimons. C’est pourquoi je voudrais rendre hommage, au nom de la nation, au travail anonyme des professeurs des écoles de France, qui sont non seulement dignes des ancêtres qu’on leur oppose parfois – ces fameux « hussards noirs » de la République–, mais encore à bien des égards, je n’hésite pas à le dire, les surpassent : le champ des savoirs qu’ils doivent maîtriser est aujourd’hui bien plus étendu qu’en 1880 – aux disciplines traditionnelles s’ajoutent, par exemple, l’informatique, la langue vivante, la pratique artistique ; les publics d’élèves qu’ils accueillent sont plus hétérogènes, rendant l’acte pédagogique plus complexe. Et je ne parle pas ici des nouvelles tâches administratives qui incombent à ceux, nombreux, qui sont également directeurs d’école.


Ma conviction est que nous n’accordons plus à notre école primaire l’attention qu’elle mérite et qu’elle exige.


La raison en est toute simple : on a naturellement tendance à s’imaginer que tout va bien à l’école primaire. Cela tient sans doute à l’apparence paisible qu’elle nous renvoie : les enfants y sont encore si jeunes, apparemment si insouciants ; les problèmes semblent ne devoir surgir que dans la suite du parcours scolaire, au collège. C’est ainsi autour du collège que se sont focalisés la plupart des débats publics récents sur notre école.


La vérité, nous la connaissons aujourd’hui : pour les élèves qui sont à la peine, le collège n’est souvent que le révélateur de difficultés plus anciennes, de lacunes qui datent des premières années de l’école élémentaire et notamment du Cours Préparatoire.


De récentes enquêtes et autres rapports l’ont malheureusement démontré : contrairement à une opinion longtemps admise et encore répandue, notre école primaire ne se porte pas bien. Chaque année, ce sont plus de 15% des élèves qui en sortent en grande difficulté : soit plus de 100 000 enfants par an! Et ce sont les mêmes, exactement les mêmes enfants, que l’on retrouvera à l’issue de la scolarité obligatoire, dans la même situation – le mot n’est pas trop fort – de détresse scolaire. Car ce qui n’a pas été acquis à l’école primaire ne pourra plus l’être par la suite. Ces élèves qui ont échoué en primaire sont condamnés à subir, jusqu’à l’âge de 16 ans, une scolarité obligatoire qui ne peut plus rien leur apporter : parce qu’ils ne disposent pas des bases minimales pour la suivre. Se figure-t-on la souffrance ainsi accumulée pendant des années, à assister à des cours qu’on n’a pas les moyens de comprendre ? S’imagine-t-on l’ampleur de la frustration ainsi suscitée, la souffrance induite par cette mise en scène quotidienne et publique de l’échec

de certains jeunes.


A ce noir tableau, si l’on ose dire, il faut ajouter les 25 autres pourcents d’élèves qui sortent de nos écoles primaires avec des « acquis fragiles » : entendons par là qu’ils n’ont pas encore les capacités de lecture et de calcul leur permettant d’accéder à l’autonomie. On atteint alors 40% d’une classe d’âge dont le niveau est insuffisant à l’entrée en 6e.


Cette situation, déjà relativement ancienne hélas, s’est aggravée : les résultats de l’enquête

internationale, qui mesure les performances en lecture des élèves à la fin du CM1, montrent non seulement que la France est en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE comme de celle des pays européens, mais encore que ses performances sont en baisse par rapport à la précédente enquête. Même le niveau de nos meilleurs élèves recule légèrement. De son côté, l’enquête PISA menée par l’OCDE sur les élèves âgés de 15 ans révèle le manque de capacité des jeunes Français à mobiliser des connaissances et des compétences, notamment en sciences. En mathématiques, le pourcentage d’élèves « faibles » est passé, entre deux enquêtes, de 18% à 22%. Et en matière de compréhension de l’écrit, ce sont désormais 8,5% de nos enfants dont le niveau est jugé « très faible », contre 4% en 2000 !


Ce n’est pas seulement l’avenir de nos enfants qui se jouent au travers de ces statistiques, c’est en vérité celui de la nation tout entière.


Cette situation très préoccupante, nous en avons très vite pris la mesure et le ministre de

l’Education nationale, à ma demande, s’y est attaquée dès son entrée en fonction.


Notre objectif est simple et ambitieux : diviser par trois, d’ici la fin de la mandature, le taux

d’échec scolaire à la sortie du CM2. Si à l’issue du quinquennat, 5% des élèves quittent le CM2 sans maîtriser les connaissances de base, ce sera encore beaucoup trop, mais nous aurons déjà bien travaillé. A terme, notre but doit être bien sûr qu’aucun élève ne quitte l’école primaire sans maîtriser les savoirs essentiels qui conditionnent leurs chances de réussite au collège puis au lycée.


Les changements que nous avons décidés constituent la plus importante réforme de l’école

primaire depuis des décennies. Je tiens ici à saluer le travail remarquable de Xavier Darcos qui a su

concevoir l’école primaire dont notre époque et notre pays ont besoin. Ce projet est le fruit d’un long dialogue avec tous les partenaires de l’école, dialogue qui n’est du reste pas achevé. Mais la Nation n’aura pas à rougir de la copie que nous lui rendons.

 

La nouvelle école primaire que nous avons conçue est articulée autour de trois piliers : de

nouveaux programmes, d’abord ; une nouvelle organisation du temps scolaire, ensuite ; un nouveau

système d’évaluation, enfin.

 

Vous me permettrez de prendre quelques libertés avec la logique et de commencer par évoquer plus brièvement les deux derniers points.

 

En matière de temps scolaire, c’est une petite révolution qui est en marche. Pour la première fois, le temps d’apprentissage sera un temps différencié, afin de permettre aux élèves en difficulté de combler leurs lacunes à mesure qu’elles apparaissent. La semaine d’enseignement, désormais ramenée à 24 heures, se rapprochera du temps d’enseignement pratiqué par des pays développés comparables. Au delà de ces 24 heures obligatoires pour tous les élèves, nous offrirons donc, dès septembre prochain, dans toutes les classes de l’école primaire, 2 heures de plus en petits groupes aux élèves les plus en difficulté. On se donne enfin les moyens de traiter le problème de l’échec à la racine et de proposer à chaque élève une pédagogie personnalisée.

 

Parallèlement, nous allons doter notre école primaire d’un véritable système d’évaluation

permettant d’identifier rapidement les difficultés et de promouvoir les solutions qui marchent. Deux

évaluations nationales témoins seront créées, qui serviront à mesurer chaque année les acquis des élèves au CE1 et au CM2. Chaque famille recevra systématiquement, non seulement les résultats de son enfant, mais également ceux de son école. Quant aux professeurs des écoles, leur évaluation aura lieu tous les deux ans (au lieu de 4 actuellement en moyenne). Elle s’attachera d’abord aux progrès des élèves, et non au choix de telle ou telle méthode pédagogique, laissé à la libre appréciation de l’enseignant.

 

Il faut concentrer tous nos efforts et toutes nos exigences sur les résultats et cesser de s’épuiser dans des débats sans fin sur les mérites autoproclamés de tells ou telle méthode. Les résultats, encore les résultats, toujours les résultats, voilà les seuls et véritables juges de paix qui doivent guider les choix dans ce domaine.

 

Mais la réorganisation du temps scolaire et le renforcement de l’évaluation ne sont encore que des moyens : ils doivent être mis au service d’un véritable projet éducatif. Ce projet éducatif, il vise chaque élève, mais il est aussi le projet de la nation toute entière, le projet que la nation choisit de mettre en œuvre pour sa jeunesse. Le projet éducatif, c’est un projet de transmission qui porte sur des valeurs, sur des contenus, sur des connaissances. Le projet éducatif de la nation se matérialise dans des programmes d’enseignement. C’est sur eux que je voudrais m’attarder maintenant.

 

Comme je l’écrivais déjà dans ma Lettre aux éducateurs, je considère qu’un Président de la République n’est jamais autant dans son rôle que lorsqu’il s’intéresse aux programmes scolaires. Pendant des années, le discours politique en matière d’éducation s’est cantonné à des questions d’intendance : moyens, dotations horaires, statut, que sais-je encore. Autant de questions importantes, qu’en aucun cas je ne néglige. Mais autant de questions qui ne sont pas encore l’essentiel, à savoir : que voulons-nous enseigner à nos enfants ? Ce problème crucial entre tous, nous l’avions abandonné à des « spécialistes », des « experts » qui rendaient en catimini une copie au ministre, lequel bornait souvent sa contribution, et par voie de conséquence, celle de la Nation, à apposer sa signature au bas d’un document pré-rédigé. Je dis que cela ne pouvait plus durer : les programmes scolaires sont un sujet politique et non technocratique. Certes les élus du peuple n’ont pas vocation à se substituer aux scientifiques. Ce n’est pas à eux de produire le savoir, ce n’est pas à eux notamment d’écrire, ou de réécrire l’histoire. Il leur appartient en revanche de déterminer ce qui, dans le champ immense du savoir, mérite d’être étudié par les élèves de France.

 

J’ai voulu que la République se saisisse à nouveau de ce sujet capital que sont les programmes scolaires. J’ai voulu que l’écriture des programmes scolaires ne soit plus la matière de brillantes disputes académiques ou le prétexte de querelles entre différentes chapelles de pédagogues. J’ai voulu qu’elle devienne l’affaire de tous ; qu’elle soit l’occasion de définir ensemble, dans les termes les plus clairs, un horizon commun pour nos enfants. J’ai voulu une chose plus simple encore : que ces programmes servent à améliorer le niveau scolaire de nos enfants ! Qu’ils soient un instrument efficace de progression pour chacun d’entre eux, directement consultables non seulement par les enseignants, mais aussi par les familles, qui doivent savoir et comprendre ce que l’on attend de leurs enfants. Singulière logique qui a longtemps prévalu dans notre pays, qui voulait que les exigences ne soient pas clairement formulées, ou alors noyées dans un sabir incroyable et pour tout dire inintelligible. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Alors franchement, si ce n’est pas clair, c’est qu’il doit y avoir un vice de conception. Cela ne serait pas si dramatique si ce n’était nos enfants qui en pâtissaient.

 

J’ai voulu en un mot qu’on revienne à l’essentiel, aux « fondamentaux » de l’école.

Les nouveaux programmes de l’école primaire présenteront en quelques pages, dans un langage évitant tout jargon, l’ensemble d’un cursus disciplinaire désormais recentré sur le français et les mathématiques. Ils donneront la priorité absolue à la maîtrise de la langue. Le vocabulaire, qui est un instrument de liberté ; l’orthographe, par quoi notre langue se tient debout ; la grammaire, qui est le commencement de toute pensée : toutes ces nobles disciplines sont enfin mises, ou remises, à l’honneur.


Nous voulons que l’enfant apprenne. Cette démarche rigoureuse d’appropriation doit commencer très tôt :

aussi n’avons-nous pas oublié l’école maternelle : il s’agira d’en faire le lieu d’un véritable apprentissage de la langue orale. Car il est impossible d’apprendre à lire et écrire, tout aussi impossible de compter et de calculer, si l’on ne sait déjà parler correctement.


En mathématiques, le programme est tout aussi simple et ambitieux. Les automatismes en calcul seront créés aussi tôt que possible grâce notamment à la pratique régulière du calcul mental. Les programmes privilégient en outre la résolution de problèmes liés à la vie courante.


De façon générale, dans toutes les disciplines, l’accent est mis sur la mémorisation de

connaissances et de compétences clairement identifiées, dont on pourra facilement vérifier l’acquisition : il y a un lien direct entre ces nouveaux programmes et le dispositif d’évaluation que j’ai évoqué tout à l’heure.


Mesdames et Messieurs, la nation attend de nous que l’école soit l’école et pas autre chose, c'est-à dire un lieu d’apprentissage, un lieu d’initiation. Ne dispersons pas l’attention des élèves. Allons à l’essentiel, jour après jour. Ensemble, parents, élus, professeurs, femmes et hommes politiques, remettons de l’école dans l’école ! C’est ainsi que nous assumerons au mieux les responsabilités éducatives qui sont les nôtres et que nous préparerons, en même temps que l’avenir de nos enfants, l’avenir de notre pays.


Mais nous ne cherchons pas simplement à fabriquer de belles machines intellectuelles. Nous

voulons aussi éduquer des enfants ouverts sur le monde, respectueux d’eux-mêmes et des autres, aussi attachés à leur pays et à leur identité qu’ils sont soucieux du genre humain. Nous voulons des enfants qui aient en tête et dans leur coeur un certain nombre de repères et de valeurs morales. En vérité, cette exigence d’une éducation morale ne s’ajoute pas à la mission de transmission du savoir : elle en est plutôt l’inséparable condition. Comment imaginer en effet que les connaissances puissent être apprises sans être ordonnées selon des principes supérieurs, selon une certaine vision, que nous souhaiterions humaniste, du monde ? Comment penser même qu’un enfant ignorant de toute règle puisse seulement être disposé à apprendre ? Voici pourquoi j’ai demandé à Xavier Darcos d’introduire dans les nouveaux programmes une partie spécifiquement consacrée à « l’instruction civique et morale ».


Dans le monde d’aujourd’hui comme dans celui d’hier, l’affirmation des valeurs morales,

l’énonciation de règles de comportements applicables à tous, sont une absolue nécessité. L’enseignement moral et civique était au coeur du projet initial, celui porté par Jules Ferry. Nous avons eu tendance à le négliger, à l’oublier pour finir par y renoncer. Nous avons eu tort et comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, nous allons donc réintroduire cet enseignement dès l’école primaire.


Cette instruction civique et morale prévoit notamment l’apprentissage des règles de politesse, la connaissance et le respect des valeurs et des emblèmes de la République française : le drapeau tricolore, Marianne, l’hymne national – à l’écoute duquel ils devront se lever. Ouverte sur le monde et la cité, cet enseignement présentera également, pour les plus grands, les règles élémentaires d’organisation de la vie publique et de la démocratie : le refus des discriminations de toute nature, la démocratie représentative, l’élaboration de la loi et son exécution, les enjeux de la solidarité nationale… C’est dans ce cadre que s’inscrira l’initiation des enfants au drame de la Shoah en leur confiant la mémoire d’un des 11 000 enfants victimes de cette tragédie. Il s’agit d’une démarche contre tous les racismes, contre toutes les discriminations, contre toutes les barbaries, à partir de ce qui touche les enfants, c’est-à-dire une histoire d’enfants qui avait leur âge.


Au fond, il s’agit de donner à tous les enfants de France les premiers repères, qui leur manquent parfois si cruellement. Repères intellectuels, culturels, et moraux : ces trois dimensions sont inséparables, elles sont constitutives de l’idée, si française au fond, d’éducation nationale.


Ce besoin de repères n’est pas une marque de frilosité. Les repères ne sont pas des bouées auxquelles on se cramponnerait par peur de ne pas savoir nager soi-même, par peur d’affronter le grand large : ils sont bien plutôt cela seul qui nous permet de le braver et de nous jeter dans l’inconnu. Ils ne sont pas des bornes, mais des instruments de navigation indispensables, à l’heure où le monde devient plus grand, plus inquiétant, plus complexe aussi.


On a beaucoup présenté, et avec raison, la crise de l’éducation comme une crise de l’autorité. Cette crise de l’autorité a des sources très profondes, inscrite dans les fondements mêmes du projet démocratique constitutif de la modernité. Nul ne peut prétendre s’opposer à ce mouvement de fond par lequel l’homme s’est progressivement affranchi des tutelles traditionnelles. Lequel d’entre nous d’ailleurs souhaiterait un retour en arrière ? Il convient cependant de prévenir un danger : celui que le savoir lui-même soit entraîné dans la chute des anciennes figures de l’autorité aujourd’hui si justement discréditées.


Nous avons voulu, autant que faire se peut, prévenir ce danger. L’école primaire que nous allons, dès l’année prochaine, construire ensemble consacre en effet à nouveau, de la façon la plus concrète qui soit nous l’avons vu, l’autorité du savoir – et partant, celle du maître qui en est le dépositaire.


Mais le maître et sa classe ne réussiront pas seuls. Mesdames et Messieurs, il y a parmi vous, je le sais, je l’ai souhaité ainsi, une majorité de parents d’élèves. C’est à eux que je voudrais, pour terminer, m’adresser. L’autorité sans laquelle il n’y a pas de transmission possible ne sera pas tout à fait rétablie si nous ne repensons pas en profondeur la nature du lien qui unit les parents et l’école. Il ne peut en effet y avoir, devant l’enfant, deux discours : celui de son professeur et celui de ses parents. Sur ce qu’il faut faire, sur ce qui est bon et juste, il ne peut y avoir de double discours ; il ne peut y avoir deux poids et deux mesures, deux systèmes de valeurs, entre lequel l’enfant serait ballotté. Bien évidemment, la plupart du temps, les relations parents-professeurs sont harmonieuses et se déroulent dans un climat de confiance réciproque. Mais beaucoup d’enseignants, je le sais, se plaignent dans certains cas, de ne pas être compris ou soutenus. Et beaucoup de parents se plaignent, eux aussi. Entre professeurs et parents, il faut se parler, il faut s’écouter ; il faut s’entendre enfin. Nous devons donc imaginer ensemble les conditions d’un dialogue véritable entre les différents éducateurs, afin que la maison et l’école parlent d’une seule et même

voix, dans l’intérêt de l’enfant.


Et puisqu’il est question d’autorité, il n’est plus possible d’escamoter la question de l’autorité au sein de l’école. Ce qui doit être au centre de la classe, ce n’est pas l’élève qui a tout à apprendre et ne peut pas être le producteur des connaissances qu’il doit acquérir. Ce n’est donc pas lui qui peut faire autorité. Il faut remettre les choses à l’endroit : c’est le savoir qui doit être au centre de la classe, donc le professeur qui en est le dépositaire et le transmetteur qui doit faire autorité.


Je mesure combien le travail du professeur dans sa classe ressemble à celui d’un artisan solitaire. Ce professeur-artisan, pourtant, est aussi un agent public inséré dans une organisation publique qui s’appelle l’Etat. Tout groupe humain, quel qu’il soit, a besoin d’être dirigé. Les équipes enseignantes n’échappent pas à la règle. Il ya des principaux dans les collèges, des proviseurs dans les lycées. Sans méconnaître la grande valeur professionnelle des inspecteurs de l’enseignement primaire et des directeurs d’écoles, il faut s’interroger, même si cela ne fait pas plaisir à tout le monde, sur le pilotage de l’enseignement primaire. J’ai toute confiance naturellement en Xavier DARCOS pour conduire cette réflexion et pour me faire des propositions.


Mesdames et Messieurs, j’ai parlé, il y a quelques semaines, de « politique de civilisation ».

Vous le voyez, cette notion revêt un sens très concret. Elle consiste à rappeler ce que nous

n’aurions jamais dû oublier, à savoir que la plus haute mission de la politique est de déterminer les

conditions du vivre-ensemble. La politique doit rendre possible le vivre-ensemble. Or vivre ensemble ne va pas de soi. Vivre ensemble implique des règles, clairement énonçables et clairement énoncées. Ces règles elles-mêmes reposent sur des valeurs communes, un idéal humain qui est le seul garde-fou contre la barbarie.


Inscrire ces valeurs dans la réalité est en notre pouvoir : cela s’appelle l’éducation. Une éducation qui n’a pas peur de s’adresser à l’homme tout entier : tant il est vrai que l’on ne peut cultiver les esprits sans élever les coeurs, que l’on ne peut instruire sans éduquer.


Je vous remercie.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :